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Auto 101 : conduire une Ford Model T !

Ford Model T 1912 | Photo : É.Descarries
Le meilleur taux d'intérêt
Éric Descarries
Juste un peu en retard, on fait l’essai du Model T de Ford

Dans notre nouveau monde automobile où il est de plus en plus question de conduite autonome, c’est un peu drôle de parler de la conduite d’une Ford Model T. Pourtant, il s’est vendu plus de 15 millions de Ford Model T de 1908 à 1927. À cette époque, la majorité des acheteurs de voitures devaient aussi apprendre à conduire. Et ce n’était pas aussi simple que cela à l’époque. 

En effet, même si la circulation était plus parsemée qu’aujourd’hui et que les lois étaient plus simples, il fallait beaucoup de concentration et de sang-froid pour savoir maîtriser ce véhicule polyvalent qu’était la Ford T. 

Si, de nos jours, il nous faut prendre des cours reconnus par les gouvernements pour conduire une auto ou une camionnette, ce sont surtout les lois et les règlements qui sont mis en importance. Avec la T, c’était la maîtrise de la technologie.

Et si, aujourd’hui, vous ne vous sentez pas capable d’apprendre à conduire une auto avec une boîte de vitesses manuelle (à peine un petit pourcentage de véhicules privés sont produits avec une boîte manuelle de nos jours), n’essayez surtout pas de vous attaquer à une Ford Model T !

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| Photo : É.Descarries

C’est jamais trop tard…
Dans ma carrière de chroniqueur automobile, j’ai conduit une foule de véhicules originaux, de la simple Ford Model A de 1930 aux prototypes à hydrogène de GM et de Ford, des camionnettes Ranger électriques à des camions à benne de carrière Caterpillar 789, des go-karts monocylindriques aux Viper V10 et ainsi de suite. Généralement, je me suis vite acclimaté aux commandes de tous ces véhicules inusités. 

C’est lors du 100e anniversaire de la Ford Model T en 2008 que j’ai eu ma première opportunité lors d’un évènement en Ohio d’enfin conduire un exemplaire de ce qui serait reconnu comme « L’auto du siècle ». On aurait plutôt pu le désigner « L’auto de l’histoire » …

À cette époque, j’ai eu un cours accéléré de la part d’un conducteur âgé de … 16 ans! Il conduisait la T de son ancêtre, une auto de 1915 ou 1916 qu’il utilisait toujours pour aller à l’école ! La bagnole était rouillée et je me demande jusqu’à quel point elle était authentique. Mon expérience fut de courte durée dans un champ d’exposition.

| Photo : É.Descarries

Il me faudra donc attendre 2019 pour, enfin, apprendre à conduire proprement une Ford T. La chance a voulu que je rencontre un jour un certain Guy Dufresne, résident de Mascouche au Québec et collectionneur de voitures; plus particulièrement il est un mordu de vieilles Ford. Il possède une Ford V8 « flathead » de 1941 et…une vraie Ford Model T 1912, une voiture dite du « Brass Era » (L’ère du laiton)! 

Qui plus est, Guy m’a invité à conduire sa superbe pièce de collection. Mais il lui fallait, avant tout, me donner un cours. 

Un « mid-12 »
Les premières Ford T « tout en noir » furent offertes d’abord en 1914. C’était une question d’économie, la couleur noire était la moins coûteuse à l’époque, puis de facilité de production, le noir séchant le plus rapidement. 

La voiture de mon hôte est, plutôt, un exemple de 1912, ce qui explique sa couleur bleue et ses accessoires en laiton. Toutefois, il faut spécifier que 1912 fut une année de transition pour le Model T qui fut produit en trois séquences, une première qui retenait les spécifications des modèles antérieurs, un deuxième modèle intermédiaire plus élaboré et une troisième génération annonçant ce qu’il allait  devenir des Ford T. Celui de Guy Dufresne est de l’époque intermédiaire, un « mid-12 ». 

| Photo : É.Descarries

Toutes les Ford T étaient mues par un moteur à quatre cylindres avec soupapes latérales (« flathead »). Dans le cas de celles de 1912, le moteur avait une cylindrée de 177 pouces cubes soit 2,85 litres et il développait 22 chevaux-vapeur et environ 60 lb-pi de couple. 

Le grand cabriolet illustré ici avait une conduite à gauche, comme ce que nous connaissons aujourd’hui, alors que la majorité des autres autos de cette époque avaient une conduite à droite. Pourquoi Ford avait-il choisi la conduite à gauche? Parce que cela permettait aux dames de monter à bord par la droite, du côté du trottoir (fait de bois à cette époque, bien sûr), et donc de garder leurs vêtements propres. D’ailleurs la Ford T 1912 de l’ami Dufresne n’a qu’une seule porte… à droite ! 

Guy Dufresne a trouvé sa Ford aux États-Unis (il tenait à un modèle de 1912), mais ce modèle était aussi construit par Ford à Oakville en Ontario. Selon Guy Dufresne, certains exemplaires ont même été assemblés dans un édifice de la rue Laurier à Montréal ! 

Apprendre à conduire de nouveau
Si ce qui suit avait été publié durant les années 1910 ou 1920… j’aurais fait rire de moi. À cette époque, il fallait savoir conduire une auto et cela voulait dire une Model T ! Tout un contraste avec ce qu’on vit aujourd’hui, et d’ailleurs au début du vingtième siècle, il fallait avoir un certain esprit…« mécanique » et bricoleur pour savoir conduire une auto.

| Photo : É.Descarries

Voici, d’abord, comment faire démarrer une Ford Model T 1912.

Tout d’abord, sachez qu’il s’agit d’une auto dont le moteur doit démarrer par une manivelle à l’avant de la voiture (l’auto de Guy a aussi un démarreur électrique, un accessoire qui n’arrivera que plus tard sur les Model T). Mais avant de tourner la clé, il faut aller à l’intérieur pour « retarder » l’allumage en poussant la manette à la gauche du volant vers le haut. 

Puis, il faut s’assurer que le frein à main (à la gauche) soit resserré. La clé sous le pare-brise doit être à la fonction « Battery » pour le démarrage ! La manette à la droite du volant doit être descendue pour donner des gaz (c’est l’accélérateur) alors que la commande rotative au bas de la planche de bord doit être tournée pour un mélange de carburant plus riche. 

On tourne alors la manivelle et …si le moteur veut bien…celui-ci démarre. Une fois lancé, il faut jauger les gaz et l’avance de l’allumage puis passer la clé sous le pare-brise de la batterie à la magnéto (l’allumage électrique pour faire réagir les bougies fonctionne par une magnéto qui est un ensemble d’aimants positifs et négatifs sur le volant-moteur (flywheel))... 

L’électricité produite passe par des vis platinées (pointes) au tableau de bord, chacune émettant un «clic» qui pourrait vous faire penser à un cliquetis de soupapes.

| Photo : É.Descarries
| Photo : É.Descarries

Sur la route
Maintenant que la Ford T est partie, il faut la conduire. Alors, oubliez tout ce que vous savez de la conduite automobile. Souvenez-vous, l’accélérateur n’est pas une pédale au plancher mais un bras au volant. 

Bien assis, il faut débloquer le bras du frein de stationnement et le placer au centre. Puis, on pousse la pédale de gauche tout en donnant des gaz (vous vous souvenez, la manette au volant?). La Ford avance et il faut placer cette pédale de gauche jusqu’à mi-course tout en diminuant les gaz jusqu’à la vitesse voulue. 

Rendu à une vitesse raisonnable, on abaisse le bras au plancher et on augmente les gaz. On est en vitesse de croisière. Étonnamment, cette Ford T est capable d’une vitesse maximale approchant les 60 km/h, voire même plus. 

Ironiquement, la conduite de cette auto se traduit par une direction relativement précise mais une portée un peu rigide puisque les pneus sont gonflés à quelque 65 livres (au pouce carré). On ralentit dans les courbes (nos « belles » routes ne nous portent pas à tester la tenue de route de la T à son maximum).

| Photo : É.Descarries

Le pare-brise est en deux parties alors que la plus haute est faite pour accepter la capote. Toutefois, sur la route, Guy préfère abaisser la partie supérieure pour ne rien forcer. Cela nous oblige à porter des lunettes protectrices. 

Freiner ne se fait pas instinctivement comme vous le feriez avec une auto moderne, c’est-à-dire en appuyant la pédale du centre (ou de gauche s’il s’agit d’une automatique). Dans le cas de la T, on relâche la pédale de gauche ou le levier en le plaçant au centre puis on freine avec la pédale de droite. 

Selon Guy, ces Ford T n’avaient pas des freins très efficaces. Le système original n’est qu’une bande de Kevlar (autrefois en tissu spécial) autour d’un tambour qui n’agit que sur l’arbre de transmission donc aux roues arrière. Guy y a ajouté un système supplémentaire à disques du manufacturier américain Wilwood, toujours qu’aux roues arrière…mais il ne lui fait pas plus confiance! 

Pour repartir, le conducteur pèse à nouveau sur la pédale de gauche.

| Photo : É.Descarries

Enfin, la marche arrière exige encore une fois du conducteur qu’il place le levier de gauche à mi-chemin de sa course (avec les gaz à bas régime) et qu’il pèse à fond sur la pédale du centre (sans la faire glisser) tout en donnant un peu plus d’accélérateur (les gaz). 

Les phares
Si vous regardez sur la photo, vous verrez que la Ford T de Guy est équipée d’immenses phares à acétylène. Ce produit est fabriqué à bord du véhicule dans un réservoir au marchepied de gauche. On fabrique l’acétylène avec du carbure de calcium (que l’on trouvait autrefois très facilement dans les pharmacies et les magasins généraux) avec de l’eau dans la partie supérieure du réservoir. 

Ce mélange est dirigé vers les phares. Pour les allumer, il faut ouvrir (avec une certaine délicatesse) la lentille du phare, ouvrir la valve, attendre deux minutes et l’allumer avec une allumette. « Aucun danger, de dire Guy Dufresne, l’acétylène ne s’accumule pas ». De plus, afin d’être plus sûr, notre ami a installé des clignotants à DEL à l’avant et à l’arrière en plus de quelques témoins lumineux fonctionnant tous à pile. 

| Photo : É.Descarries
| Photo : É.Descarries

Du Model T au A
Ford a arrêté de produire des Model T à la fin de 1927. En 1928, le Model A, une version à la fois modernisée et rajeunie du Model T avec un design inspiré des Lincoln fut lancée. Cette auto allait ramener le succès à Ford …sauf qu’en 1929, la Grande Dépression allait changer le monde.

La Ford Model A avait adopté la configuration moderne de l’accélérateur combiné au carburateur avec la pédale au plancher et la boîte manuelle à trois rapports avec embrayage actionné par une troisième pédale au plancher. Rien ne ressemblant à la conduite de la Ford T, et une configuration qui se continue aujourd’hui! 

Pourtant, l’antique méthode de conduite n’allait pas disparaître. Il reste encore beaucoup de Ford T de nos jours. Juste au Québec, Guy Dufresne croit pouvoir en compter plus de 75 en état de fonctionner.

Cependant, avec l’avènement toujours plus probable de l’automobile autonome, combien de gens seront-ils capables de les conduire dans une trentaine d’années? Peut-être que cet article, s’il est conservé, leur sera utile? 

| Photo : É.Descarries
Éric Descarries
Éric Descarries
Expert automobile
  • Plus de 41 ans d'expérience en tant que journaliste automobile
  • Plus de 55 essais réalisés au cours de la dernière année
  • Participation à plus de 200 lancements de nouveaux véhicules en carrière en présence des spécialistes techniques de la marque